Désentraînement après un arrêt prolongé

Par
Benjamin Aebischer (MSc APA)
Raphaël Nguyen (PhD Lifescience)
METICS Santé & Performance

Activité physique une période d’arrêt prolongée : Quelles sont les adaptations au niveau musculaire et cardiovasculaire, et quels comportements adopter ? 

Toute personne peut être confrontée à un arrêt forcé de pratiquer une activité physique. Les raisons peuvent être multiples (ex. : blessures, post-partum, coronavirus), mais elles mènent toutes à une immobilisation inhabituelle. Outre l’impatience de recommencer à bouger comme on a l’habitude de le faire, on sent son corps se modifier, ses muscles s’atrophier et on semble se fatiguer plus vite.

Dans cet article, nous allons décrire les conséquences au niveau musculaire (force, taille du muscle) et cardio-vasculaire. Nous allons également voir s’il est possible de récupérer totalement et comment.

1. Conséquence au niveau musculaire

Un membre immobilisé implique forcément une diminution, voire un arrêt quasi total de l’activité musculaire dans la zone concernée. Le muscle ne peut donc plus se contracter comme il a l’habitude de le faire. Il va donc perdre en masse musculaire, en force et en endurance.

1.1 Force et endurance musculaire

La force diminue rapidement en cas d’immobilisation, et ce tant au niveau excentrique et concentrique qu’isométrique. En moyenne, un muscle complètement immobilisé perd entre 10 et 15% de force chaque semaine. De ce fait, rien que 2 semaines sans bouger peuvent déjà mener à une perte de force maximale volontaire de 25%. Pour des cas extrêmes, une étude a montré qu’après trois semaines sans bouger, une personne dans la vingtaine avait perdu jusqu’à 47% de force.

Le muscle perd également en endurance. Ceci est dû à la perte de force, mais aussi à la réduction de l’activité métabolique et de la circulation sanguine dans le muscle. Cette baisse d’endurance provoque une sensation de fatigue qui peut induire une perte de motivation. Il est important à ce moment-là de ne pas rentrer dans un cercle vicieux qui mène à l’inactivité.

1.2 Masse maigre et masse musculaire

La masse maigre représente le poids total d’une personne auquel on soustrait la masse grasse. Elle contient donc le poids des os, des organes, des muscles, des tissus et de la peau. Une étude a observé comment cette masse maigre avait évolué après une immobilisation d’une jambe de deux semaines chez des personnes dans la vingtaine. Les résultats ont montré qu’elles avaient perdu en moyenne 500g de masse maigre. Et ceci peut s’observer à l’œil nu. Toute personne ayant déjà eu un plâtre a forcément remarqué que le membre fraîchement libéré est devenu plus fin.

Si on se concentre plus spécifiquement sur le muscle, on remarque que la masse musculaire diminue parallèlement à la force. Quant au niveau cellulaire, les fibres musculaires elles-mêmes s’atrophient. 3 semaines d’immobilisation du genou engendrent déjà une perte de 10 à 13% de leur taille normale et ce peu importe le type de fibre (type I, IIa et IIx). On observe également un changement de distribution des fibres musculaires. L’atrophie des fibres de type I étant plus rapide, la proportion des fibres de type I (les fibres “endurantes”) diminuent (-9%) et celles de type IIx (les fibres “explosives”) augmentent (+7%).

Nous pouvons ajouter à cela que tous les muscles ne sont pas touchés de la même manière par une immobilisation. Par exemple, un muscle qui est beaucoup utilisé au quotidien perdra proportionnellement une plus grande part de masse musculaire et de force.

2. Conséquence au niveau cardio-vasculaire

Dans le cas où l’on devait subir une immobilisation complète (alité, par exemple) durant 3 semaines, des études ont montré que la VO2max diminuerait de 25%. En parallèle, notre débit cardiaque diminue de 25% également malgré une augmentation de la fréquence cardiaque. Concrètement le cœur est moins efficace pour débiter le sang. Ainsi, chaque effort devient de plus en plus difficile. On risque alors d’entrer dans le cercle vicieux de l’inactivité : moins on en fait, moins on arrive à en faire, moins en a envie d’en faire.

Si on ajoute à cela toutes les adaptations musculaires dont nous avons parlés plus haut qui se sont opérées, on ne peut que constater que notre corps a réellement perdu en performance.

Nous n’avons parlé ici que de deux facteurs de désadaptation, mais il faut souligner que les tendons, les os et les ligaments ont également été fragilisés.

Sachant cela, il est alors nécessaire de recommencer à pratiquer une activité physique prudemment et en respectant une évolution très progressive du volume d’entraînement.

3. Reprise d’une activité physique ou réathlétisation

3.1 Pendant la blessure

Effectuer tout ce qui est possible en termes de mouvements, malgré l’immobilisation, est primordiale pour limiter le désentraînement. Par exemple, si c’est la cheville qui est immobilisée, il est encore possible de faire de nombreux mouvements de la jambe grâce à l’articulation du genou et de la hanche, sans qu’il soit nécessaire de mettre du poids sur la cheville. En général, les physiothérapeutes et spécialistes en activité physique adaptée (APA) fournissent ce genre d’exercices.

Le mouvement d’un membre permet d’améliorer la circulation sanguine dans celui-ci, ce qui provoque un apport des nutriments vers le muscle de la zone en mouvement, et ceci contribue à accélérer le processus de guérison. Ainsi, on parvient à minimiser la perte de masse et de force musculaire.

Il existe également des outils de stimulations neuro-musculaires qui permettent, par des impulsions électriques intermittentes, de continuer à stimuler la musculature pendant la blessure. Cette pratique est actuellement à la mode et est censée limiter la perte de performance.

3.2 Après la blessure

Une fois que le médecin donne son feu vert (ou une fois que la période de confinement du coronavirus est terminée), il est important de prendre en considération que non seulement les muscles et le système cardio-vasculaire ont été touchés, mais aussi les os, les tendons et les ligaments. Les risques de blessures sont alors élevés si l’on recommence directement avec un volume d’entraînement relativement élevé.

Par exemple, avant de retourner courir, il peut être intéressant de commencer par reprendre quelques exercices de musculations basique (proprioception, travail avec le poids du corps), ou de commencer avec de la marche, quelques sorties à vélo ou de la natation. Ce sont des pratiques qui amènent moins de pressions sur les articulations et les tendons que la course à pied, par exemple.

3.3 Des méthodes plus efficaces que d’autres ?

L’étude de Grimby et al.  a observé la différence en termes de gain de force entre un ré-entraînement personnel,  un entraînement isocinétique (qui se fait à vitesse et résistance constantes sur tout le mouvement) et un entraînement de musculation standard (10RM), mais supervisé, sur une période de 2 mois.

Tous les entraînements ont permis d’augmenter la force. Cependant, celui qui s’est avéré le plus efficace est l’isocinétique. Le fait que ce dernier permette de maintenir une force égale tout au long du mouvement semble avoir porté ses fruits.

3.4 Peut-on récupérer à 100% ?

Après 2 semaines d’immobilisation et un programme d’entraînement de 6 semaines, des jeunes dans la vingtaine n’avaient toujours pas totalement récupéré, que ce soit en force musculaire ou en travail aérobique.

14 mois après une opération du genou, un sportif peut ne pas avoir récupéré ses capacités à 100% et ce même après avoir repris une pratique habituelle. Dans ce genre de cas, des entraînements plus spécifiques et prenant en compte des mesures précises d’entraînement sont nécessaires pour optimiser la récupération complète. L’objectif est que cet arrêt enraye le moins possible la carrière. Il est alors important ,d’une part, de prendre toutes les mesures nécessaires pour limiter un maximum les dégâts. D’autre part, une blessure est souvent l’occasion de repenser la manière de travailler et de recommencer sur de nouvelles bases.

Soulignons que les jeunes et les moins jeunes perdent de la force musculaire de façon égale après une immobilisation. Cependant, les populations âgées ont besoin de plus de temps pour se régénérer ensuite.

Quelque soit l’origine d’une immobilisation forcée, il faut donc compter sur des programmes complétant ceux donnés par des physiothérapeutes. Le travail avec des spécialistes en APA devient alors intéressant.

N’oublions pas que l’activité physique, c’est la vie !

METICS Santé & Performance Sàrl
www.metics.ch

 

Bibliographie

Booth, F. W. (1982). Effect of limb immobilization on skeletal muscle. Journal of Applied Physiology 52, 1113-1118.

Dittmer D. K., Teasell R. (1993). Complications of immobilization and bed rest. Part 1: Musculoskeletal and cardiovascular complications, Can Fam Physician, 1428-32.

Grimby, G., Gustafsson, E., Peterson, L., et Renström, P. (1980). Quadriceps function and training after knee ligament surgery. Medicine and Science in Sports Exercise 12, 70-75.

Hortobagyi T., Dempsey L., Fraser D., Zheng D., Hamilton G., Lambert J., Dohm L. (2000). Changes in muscle strength, muscle fibre size and myofibrillar gene expression after immobilization and retraining in humans, J Physiol. 293-304.

Lieber R., Fridëan J., Hargens A., Danzig L., Gershuni D. (1988). Differential response of the dog quadriceps muscle to external skeletal fixation of the knee, Muscle and Nerve, Vol. 11, Issue 3.